Depuis la remise au goût du jour du record de l’heure l’année dernière avec le record de Jens Voigt (51,119km), c’est un peu la course à qui se présentera et battra à son tour le record pour venir inscrire son nom au palmarès du record mythique cycliste.
Après Jens Voigt, C’est Mathias Brändle qui a battu le record. Jack Bobridge s’y est essayé, sans y parvenir avant que Rohan Dennis ne mette tout le monde d’accord avec une nouvelle marque à 52,491 km récemment.
Longtemps délaissé au profit des palmarès plus traditionnels pendant les années 2000, peut-être également à cause de la baisse de crédibilité des performances physiques des cyclistes, le tour de cadran horaire reprend de la vigueur ces derniers mois.
A quoi peut-on attribuer ce retour sur le devant de la scène médiatique ? Analyse.
Un record mythique
De tous temps, le record de l’heure a eu un caractère mythique dans le monde du cyclisme. Cette performance a servi d’étalon aux cyclistes. Alors que les courses sur route dépendent toujours de leur scénario et de la météo, imprévisibles tous les deux, le record de l’heure a ça de beau qu’il permet à chaque coureur de se mesurer dans l’effort à un objectif unique dans des conditions similaires.
Beaucoup de grands coureurs se sont illustrés dans le record de l’heure. Henri Desgrange fut le premier à s’y essayer le 11 mai 1893 en réalisant la première marque à 35,325km. Suivirent ensuite, du côté des vélos dits « traditionnels », entre autres, Fausto Coppi, Jacques Anquetil, Eddy Merckx (sur le vélo ci-dessous) et plus récemment les récents recordmen Voigt, Brändle et Dennis.
Du côté des vélos plus expérimentaux – on se souvient notamment des prototypes de Graham Obree ou du Pinarello Espada de Miguel Indurain – Obree, Boardman, Indurain ou encore Rominger se sont affrontés et ont écrit leurs noms au palmarès.
Tenter le record de l’heure est donc bien plus qu’un effort, c’est un aboutissement pour un coureur, permettant de se mesurer au mythe et aux légendes du vélo. Pour un coureur, faire partie de l’histoire du cyclisme et se mesurer à ses pairs a toujours signifié beaucoup.
Une remise à plat des performances grâce à la lutte anti-dopage ?
Durant les années 90 et 2000, les meilleurs rouleurs étaient aussi, bien souvent, les meilleurs grimpeurs et les vainqueurs de courses par étapes. Il n’y a qu’à regarder le palmarès du record de l’heure pour s’en rendre compte. On y retrouve Miguel Indurain et Tony Rominger qui se sont livrés cette petite bataille sur la piste mais aussi les britanniques Chris Boardman et Graham Obree (voir son vélo ci-dessous), hyper-spécialistes de la piste quant à eux, roulant qui plus est sur des machines impressionnantes, fabriquées pour cet unique usage. Avec les dérives, notamment sanitaires, de l’époque, quel crédit pouvons-nous accorder aux records établis pendant ces années ?
De même, face à Indurain ou Rominger de l’époque, face à de telles « machines », quelle chance aurait eu un bon rouleur de ces années de performer ? Aucune ou presque, tant la course à l’armement semblait être devenue la norme avant 1998 dans le peloton cycliste. Il paraît logique alors que ce record ait perdu de sa splendeur quand il semblait possible, en suivant le même chemin que celui du reste du peloton ,vers l’amélioration artificielle des performances, de bien marcher et de gagner des courses. Combien de carrières éclair a-t-on vu durant ces années ? Combien de grands champions parmi ceux qui auraient pu prétendre à ce record a-t-on vu surnager dans cet océan de dérives ?
Avec la remise à plat des moeurs et le suivi médical renforcé depuis les scandales de la fin des années 1990 et lors des années 2000, les performances physiques des coureurs sont redevenues crédibles. La fatigue et l’épuisement ont petit à petit refait leur chemin dans le peloton tout comme la spécialisation des coureurs. Tous les coureurs ne sont plus rouleurs et grimpeurs et puncheurs.
Forts de cette redistribution des cartes, des hyper-spécialistes de la piste ou du contre-la-montre sont de nouveau apparus et ont manifesté un intérêt pour ce record. On pense à Fabian Cancellara qui devait être l’un des premiers et qui a finalement décalé sa tentative lorsque le réglement a de nouveau autorisé les vélos de contre-la-montre. On pense aussi à Bradley Wiggins, rouleur hors pair, multiple champion olympique sur piste et récent champion du monde du chrono, qui a annoncé vouloir s’essayer prochainement à ce record. D’autres coureurs comme récemment Chris Froome ont également déclaré vouloir s’y essayer.
Mais au-delà de l’aspect sportif, lié au business du sport existe maintenant le marketing du sport et de le marketing de ses acteurs principaux, les coureurs. Ceux-ci n’y échappent pas et certains sont mêmes devenus des porteurs de marques à eux seuls, des marques mêmes pour certains. Tenter un record est donc vendeur pour le coureur et par extension pour la marque qui le sponsorise.
Une utilisation optimale des moyens de communication modernes…
De nos jours, une tentative de nouvelle marque du record de l’heure se fait en direct à la télévision sur les chaînes sportives comme Eurosport mais aussi sur Internet, via les chaînes Youtube des marques et même de l’UCI directement comme ce fut le cas lors des tentatives victorieuses de Jens Voigt, de Martin Brändle ou de Rohan Dennis.
Alors qu’auparavant, une tentative n’était connue que dans le milieu cycliste et faisait peut-être 5 lignes dans l’Equipe en cas de record, de nos jours, grâce à tous ces moyens de communication et de diffusion à disposition, une tentative peut être suivie en direct et en mondovision par le biais des canaux évoqués au-dessus. Cette visibilité médiatique est donc une opportunité rare à exploiter pour une marque présente dans le milieu du vélo de toucher des fans ultra-qualifiés et potentiels clients en cas de record sur le vélo de la marque.
…et un plan de communication parfait pour les marques
D’ailleurs, cela ne vous aura pas échappé, on assiste depuis quelques années à un renforcement de la présence des marques de cycles dans le cyclisme. Cela peut sembler bizarre de le dire mais pendant des années, les fabricants de vélo étaient peu mis en avant et bien souvent peu connus des non pratiquants, les équipes étant parrainées et nommées par toutes sortes de marques plutôt extérieures au milieu cycliste mais très rarement par des marques de vélo alors qu’historiquement, c’était le cas avec Peugeot par exemple.
Depuis les années 2000, la starisation des cyclistes et la visibilité des marques associées n’ont fait qu’augmenter. Cela a réellement commencé avec Trek qui a bâti sa réussite commerciale actuelle sur celle de Lance Armstrong sur le Tour, profitant de la visibilité offerte par le coureur américain pour se développer et devenir cette marque mondialement connue aujourd’hui et autrefois limitée aux USA. Empruntant les mêmes recettes mais les appliquant à d’autres coureurs, les marques concurrentes de Trek, au départ essentiellement américaines au départ, ont suivi les mêmes recettes pour se développer.
C’est ainsi que Specialized, Scott, Giant ou BMC se sont largement développées sur la route grâce à leur implication dans le peloton professionnel. Toutes ces marques sont partenaires d’équipes du World Tour et se développent en partenariat avec les formations les plus réputées, parfois même éponymes comme dans le cas de BMC. Dans cette logique d’expansion commerciale, le record de l’heure agit alors comme un plan de communication, une campagne de publicité géante relayée gratuitement par les médias et par les marques elles-mêmes sur tous les spports dont elles disposent. Le lendemain et les jours suivant les records, les sites spécialisés titraient sur la performance, associant le coureur à sa machine et à son fabricant.
Prenez également les réseaux sociaux. Avant, pendant et après le record, les marques ont inondé de messages leurs pages ou profils de photos présentant leur coureur, le vélo, la performance, détaillant le montage de la machine, interviewant les mécaniciens, ingénieurs.
Dans le cas de Dennis, BMC avait carrément convié l’ensemble de ses athlètes, actifs ou fraîchement retraités au vélodrome pour suivre la tentative. Ainsi, Julien Absalon et Cadel Evans étaient présents par exemple, représentant leur employeur et sponsor principal. On avait presque l’impression d’assister à un événement de RP plus qu’à une tentative de record de l’heure.
Une mise en avant du cyclisme décorrélée des courses
Un grand monsieur du vélo que j’interviewais récemment (l’entretien sera à lire sur le site prochainement) m’expliquait comment le vélo était victime de sa polarisation sur un nombre trop réduit d’événements à forte visibilité comme le Tour de France et Paris-Roubaix et que le défi pour les années à venir serait de sortir de cette mise en avant limitée pour accéder, comme ont su le faire le d’autres sports, à des visibilités médiatiques plus nombreuses, récurrentes, moins figées sur des créneaux limités et si possible à des heures de grande écoute.
Le record de l’heure répond fortement à cette problématique, en venant s’insérer dans les trous médiatiques laissés par les grandes épreuves cyclistes et pour amener une audience passionnée sur une retransmission événementielle, comblant ainsi les creux du calendrier et créant de la récurrence dans le suivi du vélo pour les fans. De plus, bien commenté et agrémenté d’interviews de personnalités, de briefs techniques, un record de l’heure peut intéresser le plus grand nombre.
Pour le moment, les retours d’informations sur la performance sont faibles mais il est à parier que nous verrons bientôt apparaitre des caméras embarquées lors des tentatives, permettant de rendre compte de la vitesse, de l’effort, de la douleur du cycliste. Il sera également probablement possible d’afficher en temps réel la vitesse, la cadence de l’ahtlète et de les comparer avec d’autres tentatives. Pourquoi même ne pas imaginer un « ghost mode » comme dans les jeux vidéo ?
D’un aspect brut sans intérêt, la tentative de record de l’heure pourrait alors devenir une véritable attraction technique et audiovisuelle comme l’est la Formule 1 grâce à tous ses gimmicks techniques et infographiques.
Un marronnier d’avenir pour le cyclisme ?
Le vélo pourrait alors être présent aux heures de grande écoute à la télévision ou sur internet sur un modèle de programme court et récurrent séduisant un public différent de celui des courses habituelles ou des monuments habituellement diffusés.
Porté par les marques et leur volonté de promouvoir leurs produits et le sport cycliste au travers de la performance des athlètes, le record de l’heure serait-il en train de devenir le futur porte-étendard du Cycling Business ? Verra-t-on prochainement tous les grands noms du vélo, coureurs de classiques, vainqueurs de Grands Tours, spécialistes de la piste ou du contre-la-montre s’y essayer ?
Voir Cancellara, Froome, Martin, Voigt, Wiggins, Voigt, Dennis et pourquoi pas plus tard Sagan, Roy, Pinot, Quintana, Nibali ou Contador…se mesurer sur une performance identique dans des conditions similaires, n’est-ce pas là une vision rêvée pour les fans de cyclisme ?
Le record de l’heure ne serait-il pas en train de devenir le nouvel événement récurrent à succès du cyclisme et l’UCI ne devrait-elle pas le valoriser par une distinction comme un maillot distinctif par exemple ? L’évolution des tentatives nous le dira mais voir autant de coureurs s’y essayer risque de donner des idées à d’autres et à la fédération elle-même. A suivre.
Crédits Photos : Rohan Dennis par Sébastien Gasser, Vélo et plaque Eddy Merckx par D1v1d, Jens Voigt par Wrench Science, Vélo de Graham Obree par Shaun Murphy sur Flickr.com – CC